Quand on parle de photographie, il y a toujours une ambiguïté de fait des différentes fonctions que recouvre cette technique. La photo est notamment un support plastique. Plastique… un mot qui interpelle, qu’est-ce que la plasticité ? C’est ce qui est modelé, formé.
Appliqué à la photographie, cela voudrait dire qu’une photo très plastique est une photo plus travaillée que la simple image qui sort du boîtier standard. En l’occurrence, on pourra parler de l’usage de longueurs focales extrêmes comme une course au très grand angle par exemple, ou de traitement très marqués sur l’image : saturation des couleurs, color-grading ou netteté poussés à leur paroxysme, noirs et blancs très micro-contrastés, traitement type HDR etc. En ces temps de logorrhée photographique, il y a une course à la sur-plasticité. En soi les maniérismes et l’excès dans la nouveauté ne sont pas des comportements très surprenants. Si les outils existent, alors servons-nous en est probablement la phrase qui guide les pratiquants, renforcés par la sensation de devoir se distinguer dans l’incroyable circulation massive d’images que l’on connaît aujourd’hui.

Quelles conséquences à ce constat ? Pour faire commande photographique, on serait tenté de chercher le plus visible, celui qui va le plus loin dans sa plasticité, afin de se démarquer en ayant commandé quelque chose de différent. Seulement voilà, il me semble que cette plasticité est creuse. Qu’est-ce que je veux dire ? D’abord que la démarche est une course subie. Puis qu’en réalité il s’agit de faire de la photographie décorative. Peut-être même pourrais-je affirmer avec une pointe d’ironie que le summum de la reconnaissance serait de se retrouver en photo par défaut dans un cadre acheté chez Ikea ?
La photographie, c’est une écriture. Toute personne qui a une démarche d’écriture, qu’elle soit littéraire, picturale, cinématographique… pourra vous parler du fond et de la forme de son travail, du pourquoi du comment, et aura des choses à vous dire. La sur-plasticité actuelle est creuse parce qu’elle ne s’accompagne pas d’un discours. J’ai déjà eu la chance de travailler pour une organisation qui avait plus de 100 ans.Travailler sur son histoire, la valoriser et donner du sens, c’est utiliser les archives photographiques par exemple. Et lorsque vous faîtes cela, vous avez deux réactions possibles face à une image : la garder parce qu’elle témoigne de quelque chose ou éclater de rire parce qu’elle est sur le plan formel un marqueur de son époque.

Quel rapport avec la commande photographique ? Celui qui commande a plusieurs options. La première c’est, en ces temps de développement des usages numériques, de foncer dans cette course et de chercher du like. La seconde c’est de prendre un peu de recul et de ne pas évaluer son travail sur des compteurs court terme. Notez d’ailleurs que les organisations qui ont une histoire longue sont souvent plus apaisée dans cette course. Notez aussi que les commandes qui sont faîtes aux photographes de Magnum ou par exemple de Vu en France — hors commandes presse — le sont par des organisations qui ont toutes le souci de l’écriture dans le temps.
C’est bien là le point clef pour moi, et le creux actuel dans la pratique photographique de masse. Où sont le propos et la démarche ? Quel est le rapport au temps ? Ce sont des questions que logiquement un directeur artistique ou un chargé de communication devraient évoquer avec un photographe. C’est parfois au travers de ses projets personnels, hors commandes, que vont maturer les propos de celui-ci : cette écriture dont vous récupérerez un peu dans votre commande.
On peut en avoir besoin de cette sur-plasticité. Mais en réalité, la question est : donnez-vous vraiment un sens à vos choix iconographiques ? Voire plus loin encore, cherchez-vous à entrer dans la course effrénée du présent ou à prendre de la hauteur ?